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Surveiller et Punir : un autre temps du management

Surveiller et punir. J’emprunte volontairement ce titre du livre de Michel Foucault, et je vais au cours de l’article faire le lien entre cette oeuvre et une certaine forme de management très courante en entreprise. Je donnerai ensuite les pistes d’un autre type de management qui me semble plus approprié.

Dans son oeuvre, le philosophe étudie l’apparition de la prison moderne. Construite sur un modèle dit panoptique, elle permet au surveillant situé dans une tour centrale d’observer sans jamais être vu. La prison moderne devient une entreprise de culpabilisation travaillant les consciences individuelles à travers un regard tout-puissant. Le seul sentiment d’être observé étant susceptible d’obtenir des captifs une forme d’obéissance. La prison passe alors d’une fonction punitive à une visée normalisatrice.

Le succès de ce système aidant, la seconde conséquence de sa mise en place est son adoption par d’autres systèmes que la seule prison. C’est le cas de l’organisation scientifique du travail (OST) qui sera largement utilisée lors de la seconde révolution industrielle à la fin du XIXème siècle et dont le fordisme en fera une très large application. Dans les ateliers et les usines quelques contremaîtres contrôlent des centaines de travailleurs dans des allées rectilignes d’où ils dominent les employés assis à une table individuelle et tous visibles de loin.

 

Beaucoup d’usines et d’ateliers sont encore organisés selon ces principes et la généralisation des Open Space démontre que ce système panoptique a maintenant envahi tout l’espace de l’entreprise. Les bureaux fermés restant le privilège des managers superviseurs. La méfiance vis à vis du télétravail nous vient aussi de là. Lorsqu’elle est en télétravail la personne échappe à la surveillance directe.  Ses activités ne sont pas directement visibles et on ne peut être certain du temps réellement passé au travail.

Implicitement l’OST part du principe que l’ouvrier n’est pas compétent et qu’il va vouloir échapper au travail. Il met par conséquent en place un système de défiance vis à vis de lui. Cela conduit à une division extrême du travail qui force les ouvriers et les employés à ne devenir que de simples exécutants dans une entreprise mécanisée.

Ce système pouvait avoir une raison d’être avant la seconde guerre mondiale où la population était en moyenne sous-qualifiée dans son emploi. Il pouvait donc être considéré comme nécessaire de contrôler le travail afin de s’assurer qu’il était fait de manière voulue. Aujourd’hui nous sommes dans une situation inverse où en moyenne le personnel est surqualifié.

Dans les années 1970 apparaît donc le toyotisme, qui est une transformation radicale vis-à-vis de l’OST et du fordisme. Cette nouvelle forme d’organisation est basée sur les compétences et la qualification des ressources humaines. Elle prend en considération l’avis des opérateurs; ceux-ci participent au diagnostic des problèmes et à leur résolution. Elle améliore le système de façon continue, en une dynamique interne qui intègre tous les acteurs concernés, de l’opérateur à l’ingénieur. Un tel système d’organisation permet un décloisonnement des fonctions et des responsabilités. Il allie l’efficacité de production à une certaine reconnaissance psychologique des travailleurs. On leur demande leur avis sur l’entreprise et ils se sentent donc plus impliqués. Cette implication, nouvellement induite par le système, va remplacer la surveillance et la punition.

La surveillance et la punition par leur fonction normalisatrice déshumanisent l’individu et le vident de sens. Pourtant c’est cette humanité et ce sens qui sont source d’inventivité, de créativité, et de forces vives. Antoine de St-Exupéry le résume assez bien : “Même si haute est ton image de l’homme et noble ton but, sache qu’il deviendra bas et stupide en s’énonçant par le gendarme […] N’est-il pas préférable, plutôt qu’extirper le mal d’augmenter le bien ?”

Augmenter le bien pour se passer du gendarme c’est aller chercher et développer la motivation intrinsèque des collaborateurs. Daniel Pink par ces travaux (voir aussi son TED qui résume bien sa pensée) nous en donne quelques pistes :

  • Donner du sens : c’est transformer des tailleurs de pierre en bâtisseur de cathédrale, transformer des ingénieurs en conquérants de l’espace (Space X), transformer des médecins en héros de la santé publique, transformer des banquiers en sauveteurs de l’économie française (Bpifrance pendant la crise du Covid-19). C’est donner à chacun un objectif qui les transcende.
  • Développer l’excellence technique : c’est laisser du temps aux collaborateurs pour apprendre, aller dans des conférences et expérimenter. Développer l’excellence technique aura pour conséquence non seulement de motiver les collaborateurs, mais aussi d’augmenter l’efficacité opérationnelle de l’entreprise.
  • Donner de l’autonomie : c’est tisser petit à petit un lien de confiance entre le manager et ses collaborateurs. L’autonomie et la confiance, ne peuvent pas se décréter. Elles se construisent pas à pas. Elles ont un coût car elles touchent à la sphère personnelle. J’invite sur ce sujet à lire le livre de Patrick Lencioni, The Five dysfunctions of a team

Les tâches ci-dessus n’ont qu’une prise indirecte sur le travail et ses réalisations. Elles sont donc moins évidentes que la surveillance et la punition qui vont avoir des conséquences quasi immédiates. Elles sont pourtant bien plus puissantes car elles mettent en place un système dans lequel chaque collaborateur est convaincu du bien fondé de ses propres actions.

Ces tâches sont plus complexes car elles découlent d’une démarche holistique. Elles demandent donc de revoir radicalement (dans son sens premier i.e. jusqu’à la racine, à l’essence même) l’entreprise. Elles sont cependant intellectuellement bien plus intéressantes et humainement bien plus gratifiantes.

Je ne saurais donc que conseiller au lecteur d’abandonner les pratiques de surveillance et de punition (une prime non distribuée est une forme de punition) pour adopter ces pratiques d’augmentation du bien. Je n’y vois pour ma part que des avantages.

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Commentaire

1 réponses pour " Surveiller et Punir : un autre temps du management "

  1. Published by , Il y a 2 ans

    Bonjour Benoît,

    Je reste admiratif devant ta finesse d’esprit.

    Merci pour la référence du livre de Patrick Lencioni.

    Bien à toi,

    Jérôme Brossier

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