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Il y a 8 ans -

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ScrumDay 2015 – Keynote d’ouverture de Dave Snowden

Simple but not simplistic » ou « Mais au fait, il disait quoi le Monsieur ? »

Au ScrumDay 2015, la keynote d’ouverture était tenue par Dave Snowden. L’événement qui s’annonçait intéressant s’est finalement avéré être l’une des grosses déceptions du ScrumDay.

En effet, Dave Snowden est Gallois et la Keynote était en anglais et malheureusement non traduite. Si l’accent de Dave n’est pas trop prononcé, son style oratoire et la difficulté des sujets proposés ont fait que la keynote a été perdue pour 90% des participants.

Pour compliquer la situation, Dave Snowden nous parlait de sujets pointus et difficiles à appréhender tels que complexité et sensemaking. Le titre même de la conférence commençait par prêter à confusion puisqu’elle était annoncée comme s’intitulant « Simple But Not Simplistic » alors que les slides affichaient « Making Sense Through Action ».

Je dois dire que je ne m’avoue d’habitude pas facilement battu lorsqu’il s’agit de sujets en anglais, mais ici je dois en partie jeter l’éponge. J’avais choisi de faire un scribing de la conférence et de ce fait j’ai dû conjuguer une attention envers l’orateur et une réflexion sur la façon de représenter ses idées (sans compter le temps pour le faire). In fine, j’ai un peu vécu la conférence en mode alternatif, la suivant par bribes.

Pour autant, je me propose de vous présenter ici l’essence de la discussion de Snowden à travers la présentation du modèle Cynefin et d’en dessiner quelques liens avec l’Agilité.

Une introduction au modèle Cynefin

Cynefin est un mot gallois qui signifie « les facteurs multiples de notre environnement et de notre expérience qui nous influencent de manière que nous ne pourrons jamais comprendre ». Si Dave Snowden a fait le choix de ce mot, c’est que le modèle Cynefin est un modèle de sensemaking (comprendre : un modèle qui permet de donner un sens à l’expérience et donc qui cherche à nous faire comprendre). Le modèle Cynefin propose une identification consciente des caractéristiques de notre environnement. Ce faisant, il participe à une clarification du contexte et nous pouvons en retour mieux comprendre quelles attitudes, décisions et actions mettre en oeuvre pour obtenir le meilleur résultat.

Au passage, Snowden nous met d’ailleurs en garde sur trois suppositions, pas toujours justes, que nous faisons sur la prise de décision. Nous pensons en effet souvent qu’elle est logique, procède d’un choix rationnel et est intentionnée.

  • Logique: On suppose qu’il y a un lien de cause à effet qui peut être découvert et par conséquent on peut définir des modèles prescriptifs et prédictifs (comme on le verra à travers les descriptions d’environnements faites par le modèle Cynefin, ce n’est pas vrai dans tous les contextes).
  • Choix rationnels: On suppose que nos décisions ont pour seul objectif de minimaliser les peines et maximaliser le plaisir. On pense aussi que nos comportements peuvent être changés en influençant sur la peine et les plaisirs produits par nos actions. Sur ce point Snowden nous a d’ailleurs rappelé lors de la conférence, que « l’extrinsèque tue l’intrinsèque ». C’est-à-dire que la pression d’une motivation externe peut faire disparaître une motivation interne (ce qui a été démontré à travers de nombreuses expériences).
  • Intentionné: On suppose que nous faisons les choses dans un but précis et non par accident.

Le modèle Cynefin cherche donc à donner du sens à nos décisions. C’est un outil qui repose sur une base scientifique.

Pour Snowden, c’est la seule approche valable pour définir une méthode. Au passage, il en profite d’ailleurs pour attaquer SAFe qui est selon lui un assemblage d’outils qui ne repose sur aucune base scientifique. Il soutient même que cette approche ne fait pas sens. Comme nous le verrons plus loin, dans un système complexe (tel l’Agilité) on ne peut pas prédire ce qu’il va advenir d’une juxtaposition d’éléments (le tout étant supérieur à la somme des parties). Snowden, très remonté, ira jusqu’à dire que SAFe c’est un peu Winnie l’ourson mis à la sauce Disney. C’est une collection d’éléments provenant d’un choix sécurisé pour plaire à tous, mais au final sans grand intérêt face à la poésie des dessins originaux…

Winnie aseptisé à la sauce Disney. Comme SAFe aseptise l’agilité selon Snowden ! 

Pour en revenir à Cynefin il s’agit donc d’un système qui permet d’ancrer notre prise de décision sur l’étude scientifique de 4 + 1 types d’environnements définis ainsi :

  1. Simple (ce qui est connu, Snowden parle aujourd’hui d’évident plutôt que simple)
  2. Compliqué (ce qui est connaissable)
  3. Complexe (ce qui est compréhensible à postériori, mais n’est pas reproductible)
  4. Chaotique (ce qui est incompréhensible)
  5. Et Désordonné (ce dernier type d’environnement regroupant tout ce que nous n’arrivons pas à correctement identifier, c’est la zone en violet dans le schéma ci-dessous)

Les environnements Simples (évidents)

Caractéristiques :

Un environnement simple est un environnement stable ou la relation de cause à effet est claire et compréhensible par tous.

Actions :

C’est un environnement qui appelle la mise en oeuvre de « Best Practices ». Il existe une solution connue qui permet d’obtenir le meilleur résultat et il y a peu d’intérêt à faire autrement. Dans cet environnement, il faut donc agir en suivant la séquence suivante: Sense > Categorize > Respond. En catégorisant, on définit quelles sont les pratiques établies qu’il faut mettre en oeuvre. Pratiques qu’il suffit alors d’exécuter. Il s’agit de situations où nous pouvons automatiser nos réponses et où nous n’avons pas besoin d’un grand niveau de communication, les désaccords sur ce qu’il convient de faire étant rares.

Risques :

Parmi les risques de tels environnements, on pourrait citer les risques d’une simplification à l’extrême. En négligeant certains paramètres, nous pouvons ne plus identifier des situations compliquées ou complexes pour ce qu’elles sont. Ancrés dans nos habitudes nous pouvons devenir aveugles à de nouvelles façons d’agir. On ne voit pas le changement jusqu’à ce que le système s’effondre et qu’on se retrouve soudainement dans le chaos. On parle alors de mouvements d’effondrement asymétrique.

Opportunités :

Depuis un tel environnement, on peut choisir de bouger consciemment et périodiquement vers un environnement complexe puis compliqué (on parle de mouvement de libération). On fait ce choix afin de permettre l’émergence et donc favoriser l’innovation. On peut aussi choisir d’évoluer vers le Chaos de manière temporaire, suffisante pour créer la réflexion, mais pas pour complètement déstabiliser le système. Cela permet de s’entrainer à l’adaptation et d’adopter de nouvelles perspectives. Cela facilite l’évolution.

Les environnements Compliqués

Caractéristiques :

Il s’agit d’un contexte où la relation de cause à effet peut être déterminée, mais n’est pas accessible ou visible par tous. C’est le domaine des experts.

Actions :

Dans ce contexte, il n’y a pas de « Best Practices », mais des « Good Pratices ». À un problème donné, il peut y avoir plusieurs réponses, toutes valables. Il est difficile voire infaisable de déterminer quelle est le meilleur choix. Pour agir, il est nécessaire de suivre la séquence Sense > Analyze > Respond où l’étape d’analyse par les experts permet de déterminer quelles sont les réponses les plus appropriées.

Risques :

Ici aussi, des suggestions innovantes peuvent être négligées. Particulièrement lorsque celles-ci proviennent de non-experts. Les experts, qui ont investi dans le développement de leur savoir, sont en effet naturellement peu tolérants face à des idées qui viennent les remettre en cause. Particulièrement lorsqu’elles proviennent de non-experts. Par ailleurs, du fait de la multiplicité de réponses possibles on assiste parfois à une paralysie de l’analyse. Une situation de blocage qui survient lorsque les experts n’arrivent pas à se mettre d’accord (souvent pour des problématiques d’ego). Pour éviter cela, il convient de favoriser le changement d’environnement pour permettre l’adoption de nouvelles perspectives (écouter les non-experts). On peut aussi débloquer des situations d’analyses de sujets sensibles par le jeu qui favorise la discussion dans un contexte sécurisé.

Opportunités :

Plusieurs stratégies sont possibles et valables. On est dans un monde qui permet l’exploration de marchés de niches ou encore la segmentation. Par ailleurs la frontière entre le compliqué et le simple est très perméable. A travers un processus d’amélioration incrémental, on navigue cycliquement du connaissable au connu. On peut aussi choisir de rentrer volontairement dans une démarche d’exploration qui nous emmène vers le complexe de manière sélective (choisie). Ce faisant on ouvre le champ des possibles pour introduire de l’innovation. On peut encore évoluer du compliqué vers le chaos (entrainment breaking) afin de remettre en cause les croyances des experts lorsqu’ils ne sont plus capables de détecter les signaux faibles.

Les environnements Complexes

Caractéristiques :

Un environnement complexe est un environnement où une relation de cause à effet ne peut pas être déterminée à l’avance, mais seulement à postériori. C’est un environnement imprédictible où le tout est supérieur à la somme de ses parties. C’est l’univers de l’émergence. C’est-à-dire de l’apparition au sein d’un ensemble de caractéristiques nouvelles et absentes des individus. Au passage, c’est précisément ce phénomène d’émergence qui peut faire dire qu’un système complexe n’est pas « scalable ». On ne peut pas désassembler pour réassembler à l’identique. Autrement dit, on ne peut pas se baser sur l’expérience pour déterminer ce qui va se passer. Reproduire les conditions du passé ne va pas forcément aboutir aux mêmes résultats.

Actions :

Dans ce contexte, et contrairement à un environnement compliqué, on ne peut pas trouver les bonnes réponses à l’avance. Ce quel que soit le temps passé en analyse. En conséquence, il faut adapter nos façons de faire a posteriori. C’est donc un environnement qui appelle une réaction de type Probe > Sense > Respond. On y procède par essais-erreurs afin d’ajuster nos façons de faire. C’est aussi un environnement qui appelle à plus de communication et d’interactions pour obtenir l’information qui nous permet de réagir. Comme nous avons besoins de plus d’expérimentations pour déterminer les actions à faire, il nous faut aussi plus de tolérance à l’échec. L’échec est ici inhérent et nécessaire à un processus d’amélioration continue. Par ailleurs comme il s’agit d’un environnement d’émergence, il faut permettre un degré de comportement sous-efficient de chacune de ses entités pour optimiser l’efficience de l’ensemble (sur ce sujet vous pouvez aussi lire « L’efficience de l’équipe n’est pas celle de l’individu »).

Risques :

Il s’agit d’un environnement d’inconnues, dans lequel on n’est pas naturellement à l’aise. Il est tentant de vouloir agir en « command and control » pour réduire notre incertitude et se donner un sens de sécurité. Mais si comme le dit Snowden;

Nous sommes capables de faire évoluer un système de la complexité vers l’ordre et l’y maintenir de telle manière à ce qu’il devienne prédictible.

Ce n’est pas nécessairement quelque chose à faire. En effet ce faisant nous prenons deux risques:

  • Celui de perdre toute capacité d’innovation propre au système complexe
  • Celui de réduire artificiellement la complexité du système et de ne la contenir que jusqu’à ce qu’elle explose et de l’ordre nous amène au chaos

Opportunités :

L’environnement complexe est sans doute le plus présent aujourd’hui, même si ce serait aller trop vite que de dire que tout est complexe (ordre et complexité peuvent coexister). C’est un environnement d’innovation, de créativité et d’opportunité. C’est donc là que peuvent surgir des innovations de rupture, des nouveaux produits ou business models. C’est aussi essentiellement là que s’exprime l’agilité (qui ne cherche pas à prédire, mais à s’adapter). Même si on peut adopter des comportements agiles dans des contextes compliqués, c’est dans un univers complexe que l’Agilité prend tout son sens.

A travers une formalisation de notre expérience du complexe dans une approche juste à temps (c’est-à-dire déclenchée au besoin), on peut aussi naviguer du complexe vers le compliqué (on parle alors d’exploitation). On peut encore consciemment choisir d’explorer périodiquement le chaos à travers un système de divergence/convergence. Ce faisant on facilite encore plus l’innovation. Le planning poker repose précisément sur cette approche de divergence/convergence (collecte d’information en voix silencieuses suivie d’une convergence des estimations).

Les environnements Chaotiques

Caractéristiques :

L’environnement chaotique est un environnement imprévisible. Il n’y a pas de cause à effet discernable à priori comme a posteriori. Les relations de cause à effet changent en permanence sans qu’un pattern puisse être déterminé. En toutes choses, nous sommes dans le domaine de l’inconnu. C’est un environnement dans lequel le plus petit changement peut avoir les plus grandes conséquences. Dave Snowden nous rappelle d’ailleurs l’effet papillon, tout en nous avertissant au passage que cet exemple est en l’occurrence faux. Comme il a été prouvé il n’y a pas si longtemps, le battement d’aile d’un papillon ne peut pas créer un ouragan plusieurs semaines plus tard (la pression exercée sur l’air par l’aile du papillon est insuffisante par rapport à la pression même de l’air et la perturbation créée n’a donc qu’une action très locale et s’éteint rapidement).

Actions:

Il s’agit d’un environnement dans lequel il n’y a pas de bonne réponse. L’objectif est de limiter la casse en réagissant au plus vite. Pour Snowden la priorité est d’établir l’ordre dans une approche top-down car nous n’avons pas le temps de demander d’input (il parle d’imposition). C’est un point qui me laisse perplexe et sur lequel je suis plutôt en désaccord. S’il s’agit de réagir au plus vite à une situation imprévisible, il me semble en effet qu’une approche de prise de décisions décentralisée et au plus proche de l’événement serait plus adaptée. Plutôt qu’un mode directif, je privilégierai un mode participatif du type de celui de l’entreprise libérée (voir aussi notre article de retour sur la conférence de Jean-François Zobrist sur l’entreprise libérée). Le postulat est que non seulement la personne la plus proche de l’événement pourra réagir au plus vite, mais aussi que son action sera plus adaptée puisqu’elle est, en théorie, plus concernée, compétente et consciente des implications que peut l’être un leader. Néanmoins, je peux comprendre que dans des situations de crise et sans préparation préalable une approche top-down puisse se justifier.

Dans tous les cas il s’agit de faire évoluer la situation du chaos vers la complexité avec une réaction de type Act > Sense > Respond (où pour Snowden « act » correspond à établir l’ordre et « sense » à identifier où est la stabilité). Lors de la conférence, Snowden a illustré cette situation chaotique avec la fête d’étudiants où en tant que parents il ne sert à rien de définir des limites en fixant des objectifs, mais où il convient plutôt de dire de manière autoritaire (top-down) « si tu franchis le mur, je te tue! »

Risques :

Le contexte chaotique est un contexte qui favorise l’apparition de héros et peut inciter à des comportements de dictateur. Il faut faire très attention à ne pas faire perdurer ces comportements une fois la stabilité retrouvée. L’environnement chaotique est celui vers lequel il est plus facile d’évoluer ce qui représente à la fois un risque (perte de contrôle) et une opportunité (choix conscient).

Opportunités :

C’est un contexte où il est plus facile d’innover, car il n’y a rien à perdre. Il y a beaucoup de mouvements du chaotique vers le complexe (de manière émergente) puis vers le compliqué (de manière sélective). On transforme ainsi l’innovation pour capitaliser dessus.

Conclusion : pas de solutions universelles, mais savoir donner du sens pour faire de meilleurs choix

Pour Snowden, il n’y a pas de solution ou de méthode universelle. Il y a des outils et des réponses différents en fonction des environnements dans lesquels vous vous trouvez. Si on le comprend bien, l’agilité à l’échelle n’est pas possible car cela impliquerait d’avoir une approche globale quand en réalité les systèmes coexistent (le simple côtoie le compliqué, le complexe et le chaos). Bien connaître ces différents types d’environnements est donc nécessaire pour adopter les meilleures formes de leadership ou prises de décision. Cela demande aussi de mettre en contexte le modèle Cynefin en faisant un « mappage » de notre existant vers chacun des cinq environnements du modèle. Cette contextualisation qui peut se faire à travers la narration et le « storytelling » permet alors de donner du sens. Comme il le dit « le sens est dans le contexte pas dans les textes ».

Sources et références:

En plus du contenu de la conférence, je me suis appuyé sur deux articles fondamentaux de Snowden (le premier des deux étant le plus abordable):

David J. Snowden, Mary E. Boone, A Leaders framework for decision making, Harvard Business Review, Nov. 2007

D. J. Snowden, C.F. Kurtz, The new dynamics of strategy : Sense-making in a complex and complicated world, IBM Systems Journal, Vol 42, No 3. 2003

Et pour une compréhension abordable des systèmes complexes, je vous propose l’ouvrage de M. Mitchell Waldrop sur les travaux du Santa Fe Institute:

M. Mitchel Waldrop, Complexity: The Emerging Science at the Edge of Order and Chaos, Simon & Schuster Jan. 1992

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Publié par Nicolas Lochet

Une expérience projets/produits de 14 ans dont plus de 3 en coaching Agile d'équipes et d'organisation. Accompagnement depuis des niveaux de direction de projet jusqu'aux niveaux exécutifs. Speaker en conférence, écrivain, blogueur, formateur et facilitateur graphique pour partager/enseigner l'être Agile. Certifié SAFe Agilist, CSP, CSPO et Management 3.0

Commentaire

2 réponses pour " ScrumDay 2015 – Keynote d’ouverture de Dave Snowden "

  1. Published by , Il y a 8 ans

    Merci Nicolas pour cet article en français sur Cynefin, ils sont rares.

  2. Published by , Il y a 8 ans

    Ravi que cela vous ait plu! Effectivement, les sources françaises ne se bousculent pas sur un modèle qui mérite pourtant l’intérêt.

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